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Les dirigeants des petites entreprises et la responsabilité sociétale enracinée

Publié le 11 mars 2015 Mis à jour le 28 mars 2015

La démarche universaliste de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE)concerne essentiellement les grandes entreprises et particulièrement les firmes mondialisées. Nombreuses PE demeurent en marge de cette dynamique globale car les règles en matière de RSE ne sont pas transposables en tant que telles. Généralement, au sein des PE, la vulnérabilité économique, la focalisation sur le court terme, l’absence d’informations et la dépendance renforcent le cercle de passivité face à la RSE qui apparaît souvent comme incantatoire.

Très peu de PE sont engagées dans une réflexion sur la RSE sous la forme d’une démarche accompagnée par les organismes compétents. Les objectifs économiques de profitabilité sont prioritaires rendant secondaire la RSE en dépit d’une prise de conscience. Et pourtant, les PE adoptent souvent des pratiques socialement responsables au quotidien sans leur apposer l’étiquette RSE et sans les médiatiser. Le dirigeant de PE est souvent celui qui impulse le développement de pratiques socialement responsables. La proximité avec ses parties prenantes augmente l’intensité de l’encastrement dans son environnement. Les référents, les motivations, les visions, étant très différents entre la grande et la petite entreprise, les démarches de RSE ne pourront être similaires. Kenner et Smith (1991) et plus récemment Paradas (2008) déploraient la rareté des recherches sur la RSE en PE et insistaient sur la nécessité de ne pas négliger ces études, essentielles compte tenu de la place très importante des PE dans les économies. Encore plus que d’outils spécifiques, ce sont les démarches et les méthodologies qui doivent être adaptées (Paradas, 2009 ; Torres, 2008). Dans le cadre de ce chapitre, l’étude de quatre dirigeants de PE en Corse est privilégiée. Ces dirigeants évoluent dans des exploitations professionnelles de la filière laitière. L’ensemble du territoire est couvert par 650 exploitants professionnels. La production régionale est de l’ordre de 3 000 tonnes/an dont plus d’un tiers est fabriqué par 300 fermiers. La filière laitière constitue une activité économique importante sur l’île. Ce sont plus de 1 000 familles qui vivent directement de la filière. Les fromageries sont contraintes d’obtenir l’agrément sanitaire européen délivré par les services vétérinaires. Elles se doivent de respecter une procédure de fabrication, des normes d’hygiène et veiller à la traçabilité de leurs produits. Les fromageries ciblées revendiquent toutes la production et la commercialisation de produits identitaires. Tous ces éléments justifient de s’attarder sur nos quatre dirigeants de PE. Berger-Douce (2009) indique que les variables individuelles (âge, formation…) n’auraient pas d’impact sur la stratégie d’engagement sociétal des dirigeants d’entreprise. Contrairement aux facteurs individuels, les variables contextuelles semblent influencer le choix d’une stratégie sociétale. Ces éléments peuvent se référer au territoire d’implantation et à l’évolution du consommateur/citoyen. Qu’en est-il pour les dirigeants de PE en Corse ? Comment ces dirigeants se positionnent-ils vis-à-vis de l’éthos (dimensions sociales, culturelles, politiques et économiques) qui prévaut dans la société corse ? Quels sont les effets de l’encastrement territorial sur les pratiques socialement responsables des dirigeants de PE ? Quels sont les facteurs qui amènent les dirigeants à être socialement responsables ? Veillent-ils avant tout, de manière directe ou indirecte, à maintenir une cohésion sociale et sociétale ? S’agit-il d’une responsabilité de proximité plus que d’une RSE canonique abstraite et lointaine ?
Le chapitre commence par une clarification du concept étudié. La théorie des parties
prenantes et la théorie de la dépendance à l’égard des ressources sont mobilisées. Le dirigeant doit gérer des parties prenantes dont l’apport des ressources et le soutien sont déterminants pour pérenniser son activité. La PE est plus vulnérable vis-à-vis de son environnement qui contrôle ses ressources (banques, client, collectivités, villages…) (Pfeffer et Salancik, 1978 ; Quairel F. et M.N. Auberger, 2005). N’oublions pas que la dimension financière est un élément essentiel dans l’engagement sociétal (Bowen, 2002). Les différentes logiques d’action et d’exécution des dirigeants sont également présentées. Deux dimensions sont retenues : la compétitivité et la légitimité. La mobilisation des théories néo-institutionnalistes est utilisée afin de bien cerner cette dimension dans nos analyses. Il s’agit donc d’axer notre démarche sur la logique d’action du dirigeant (vision, intention, buts), la logique d’exécution (ressources, compétences, mission, vocation), la quête de légitimité (fonction sociale remplie par l’entreprise et son dirigeant) et la compétitivité
(le positionnement face à la concurrence…). Il semble important de sortir des classifications du dirigeant établies uniquement sur la base de son activité de gestionnaire, indépendamment des aspects « contextuels ». Le chapitre s’appuie donc sur les travaux de la sociologie économique contemporaine et plus particulièrement sur le concept d’encastrement ou embeddedness. Loin de l’image de l’entrepreneur développé par Schumpeter (1935) du self-mademan, nos dirigeants sont des acteurs insérés dans des réseaux sociaux qui les modèlent (Reix, 2008). Le concept d’encastrement amène à envisager l’activité entrepreneuriale comme socialement située, l’action des dirigeants devant être considérée comme encastrée dans des réseaux de relations (Granovetter, 2000).
La notion d’encastrement peut être perçue comme un processus dynamique d’ancrage
géographique et une manière de mobiliser et de maintenir des ressources
relationnelles.
À travers ce travail, nous souhaitons faciliter la compréhension du processus d’appropriation par les acteurs des pratiques, des politiques et des concepts de RSE. Il s’agit de s’adresser sur le terrain à des dirigeants en leur demandant ce qui s’y passe et comment cela fonctionne. L’approche ethnosociologique par les récits de vie est donc retenue car elle implique l’analyse et la compréhension de situations à partir du vécu des individus. Elle est présentée dans le troisième point. Opter pour une démarche de type ethnosociologique à travers une méthodologie qualitative longitudinale constitue une perspective d’accès au réel, avec une profondeur dans la qualité et le sens des données que n’auraient pas permis une enquête statistique par questionnaire et/ou des outils comme les entretiens semi-directifs. Pour terminer, les résultats sont présentés et discutés. Le concept de Responsabilité Sociale de l’Entreprise Encastrée (RSEE) est proposé.

Mis à jour le 28 mars 2015