Version française / Articles et auteurs
- Libellé inconnu,
Entrepreneur et incertitude : des profils variés
Publié le 25 février 2015 – Mis à jour le 4 avril 2015
Gartner (1990) explique à bon droit que ce qui importe pour bien connaître les entrepreneurs est de comprendre ce qu’ils font et non ce qu’ils sont, compte tenu non seulement de leur très grande hétérogénéité, mais aussi de leur évolution faisant suite à l’expérience et aux connaissances acquises tout au long de leur praxis...
C’est ainsi qu’il rappelle que les traits qui permettraient prétendument de les décrire ne peuvent évidemment être les mêmes après cinq, dix ou vingt ans d’expérience. Mais, pour aller plus loin, il convient de comprendre pourquoi et comment ils choisissent cette carrière entrepreneuriale, à l’encontre des autres citoyens qui se contentent d’être de simples employés ou des cadres d’entreprises sinon des rentiers, avec une certaine assurance de revenus, du moins à court ou à moyen terme.
Il est vrai que, dans ce pourquoi devenir entrepreneur, on peut trouver de nombreuses raisons, plus ou moins explicites, soit la création d’un emploi pour soi ou pour sa famille, le désir de s’affirmer, l’ambition de jouer un rôle social et d’être reconnu dans son milieu ou la recherche d’un meilleur revenu. On peut ajouter aussi la découverte d’une opportunité qui incite à se lancer en affaires alors qu’on n’y avait pas longuement pensé auparavant (Baron, 1998). À ces raisons explicites, il faut ajouter d’autres raisons implicites qui sont la recherche d’indépendance etainsi d’un certain contrôle de ses destinées (McClelland, 1971). Cette motivation à la création n’est cependant pas un indicateur d’une volonté de croissance, celleci étant réservée à un nombre réduit d’entrepreneurs (Walker et Brown, 2004 ; Carsrud et Brännback, 2011). De plus, cela ne répond pas à la question du comment qui est encore plus complexe, étant donné la très grande diversité des pratiques entrepreneuriales. On peut cependant emprunter une autre voie pour mieux comprendre les entrepreneurs et qui permet d’écarter les difficultés d’analyse de ce pourquoi et de ce comment. Il s’agit d’étudier leurs comportements par rapport à l’incertitude.
L’incertitude « constitue la pierre angulaire conceptuelle pour la plupart des théories sur l’entrepreneur » (McMullen et Shepherd, 2006, p. 133). Ce que précisait d’ailleurs Cantillon il y a plus de deux cent cinquante ans1. L’incertitude (et les
surprises qui peuvent s’ensuivre) rend les résultats des différentes actions entrepreneuriales plus ou moins aléatoires ou plus ou moins risqués, selon le parcours antérieur de l’entrepreneur, l’importance et la forme de l’entreprise créée, mais aussi selon le secteur choisi et le niveau et le rythme de changement dans l’environnement. Le véritable défi de tout entrepreneur est de faire face à l’incertitude, en particulier l’incertitude externe dont parle Knight (1921) ; puisqu’il existe aussi l’incertitude interne touchant les événements et changements recherchés ou involontaires dans l’organisation et que l’on maîtrise plus ou moins. La question est donc pourquoi accepte-t-il d’engager des fonds et d’investir énormément d’énergie dans une affaire sans être assuré du rendement ? Ou encore, comment fait-il pour faire face à ces incertitudes, seul ou avec d’autres ? Sachant que celles-ci varient, dans le cas de l’incertitude externe, en fonction des différents marchés sur lequel il s’engage et de leur niveau de concurrence et de complexité, et aussi, dans le cas de l’incertitude interne, en fonction des soubresauts touchant l’organisation comme la perte d’un employé clef, diverses formes de résistances au changement ou l’échec d’une innovation ?
Pour répondre à ces questions, et en concentrant notre analyse sur l’incertitude externe, on peut distinguer trois grandes catégories d’entrepreneurs selon leur volonté de croissance, le choix sectoriel dans lequel ils engagent leur entreprise et
leur capacité à innover et à exporter. Ces variables touchent le niveau d’incertitude environnementale, et même si cette distinction est nécessairement réductrice et représente plutôt des archétypes desquels la réalité complexe peut plus ou moins s’éloigner, elle peut nous instruire sur les comportements et les motivations des entrepreneurs.
Dans le premier groupe, on trouve les entrepreneurs qui choisissent un projet de faible incertitude. Ils engagent peu de capitaux, préférant rester petits et se positionnant ainsi sur des marchés locaux relativement protégés de la concurrence, sans garantie toutefois que cette protection durera. Les entrepreneurs du deuxième groupe sont ceux qui agissent sur un marché plus large et de moyenne incertitude sur lequel, grâce à leurs connaissances et leurs expériences, ils pensent pouvoir affronter la concurrence et le changement technologique, tout en s’adaptant à mesure que le changement l’exige et que l’information devient disponible. Enfin, le troisième groupe, fortement proactif, représente les entrepreneurs qui acceptent d’investir dans des entreprises avec un environnement particulièrement turbulent justement pour profiter de l’incertitude. Ils recherchent la croissance, innovent régulièrement et exploitent les opportunités qu’offrent les marchés internationaux, se distinguant de la concurrence, confortés par leurs spécificités dans le produit ou la façon de le produire et de l’offrir. De plus, ces entrepreneurs développent des antennes particulières dans des réseaux leur fournissant non seulement de l’information effective, mais aussi potentielle sur l’évolution de l’environnement, sur les opportunités et sur les ressources disponibles, en étant confiants que ceux-ci les aideront à trouver l’information complémentaire ou les ressources nécessaires le moment venu. Ce dernier comportement est non seulement plus entrepreneurial, comme le considérait Schumpeter, mais est conforme à l’approche expliquant que l’entrepreneuriat est finalement un phénomène collectif.
C’est ce dont nous parlerons dans ce texte. En premier lieu, nous discuterons plus avant de cette incertitude externe et des façons de l’affronter par l’information et sa transformation en connaissance. En deuxième lieu, nous distinguerons les trois groupes d’entrepreneurs selon le type d’entreprise créée, le secteur dans lequel celle-ci évolue, et l’environnement plus ou moins turbulent selon l’évolution du marché, de la technologie et de la concurrence. En troisième lieu, nous ferons un essai d’application de cette distinction à partir de données recueillies auprès de 347 PME. En conclusion, nous aborderons l’impact de cette façon de voir l’entrepreneur tant sur leur compréhension que sur les politiques publiques pour favoriser leur multiplication et leur dynamisme. Arrêtons-nous d’abord à la question de l’incertitude.
Il est vrai que, dans ce pourquoi devenir entrepreneur, on peut trouver de nombreuses raisons, plus ou moins explicites, soit la création d’un emploi pour soi ou pour sa famille, le désir de s’affirmer, l’ambition de jouer un rôle social et d’être reconnu dans son milieu ou la recherche d’un meilleur revenu. On peut ajouter aussi la découverte d’une opportunité qui incite à se lancer en affaires alors qu’on n’y avait pas longuement pensé auparavant (Baron, 1998). À ces raisons explicites, il faut ajouter d’autres raisons implicites qui sont la recherche d’indépendance etainsi d’un certain contrôle de ses destinées (McClelland, 1971). Cette motivation à la création n’est cependant pas un indicateur d’une volonté de croissance, celleci étant réservée à un nombre réduit d’entrepreneurs (Walker et Brown, 2004 ; Carsrud et Brännback, 2011). De plus, cela ne répond pas à la question du comment qui est encore plus complexe, étant donné la très grande diversité des pratiques entrepreneuriales. On peut cependant emprunter une autre voie pour mieux comprendre les entrepreneurs et qui permet d’écarter les difficultés d’analyse de ce pourquoi et de ce comment. Il s’agit d’étudier leurs comportements par rapport à l’incertitude.
L’incertitude « constitue la pierre angulaire conceptuelle pour la plupart des théories sur l’entrepreneur » (McMullen et Shepherd, 2006, p. 133). Ce que précisait d’ailleurs Cantillon il y a plus de deux cent cinquante ans1. L’incertitude (et les
surprises qui peuvent s’ensuivre) rend les résultats des différentes actions entrepreneuriales plus ou moins aléatoires ou plus ou moins risqués, selon le parcours antérieur de l’entrepreneur, l’importance et la forme de l’entreprise créée, mais aussi selon le secteur choisi et le niveau et le rythme de changement dans l’environnement. Le véritable défi de tout entrepreneur est de faire face à l’incertitude, en particulier l’incertitude externe dont parle Knight (1921) ; puisqu’il existe aussi l’incertitude interne touchant les événements et changements recherchés ou involontaires dans l’organisation et que l’on maîtrise plus ou moins. La question est donc pourquoi accepte-t-il d’engager des fonds et d’investir énormément d’énergie dans une affaire sans être assuré du rendement ? Ou encore, comment fait-il pour faire face à ces incertitudes, seul ou avec d’autres ? Sachant que celles-ci varient, dans le cas de l’incertitude externe, en fonction des différents marchés sur lequel il s’engage et de leur niveau de concurrence et de complexité, et aussi, dans le cas de l’incertitude interne, en fonction des soubresauts touchant l’organisation comme la perte d’un employé clef, diverses formes de résistances au changement ou l’échec d’une innovation ?
Pour répondre à ces questions, et en concentrant notre analyse sur l’incertitude externe, on peut distinguer trois grandes catégories d’entrepreneurs selon leur volonté de croissance, le choix sectoriel dans lequel ils engagent leur entreprise et
leur capacité à innover et à exporter. Ces variables touchent le niveau d’incertitude environnementale, et même si cette distinction est nécessairement réductrice et représente plutôt des archétypes desquels la réalité complexe peut plus ou moins s’éloigner, elle peut nous instruire sur les comportements et les motivations des entrepreneurs.
Dans le premier groupe, on trouve les entrepreneurs qui choisissent un projet de faible incertitude. Ils engagent peu de capitaux, préférant rester petits et se positionnant ainsi sur des marchés locaux relativement protégés de la concurrence, sans garantie toutefois que cette protection durera. Les entrepreneurs du deuxième groupe sont ceux qui agissent sur un marché plus large et de moyenne incertitude sur lequel, grâce à leurs connaissances et leurs expériences, ils pensent pouvoir affronter la concurrence et le changement technologique, tout en s’adaptant à mesure que le changement l’exige et que l’information devient disponible. Enfin, le troisième groupe, fortement proactif, représente les entrepreneurs qui acceptent d’investir dans des entreprises avec un environnement particulièrement turbulent justement pour profiter de l’incertitude. Ils recherchent la croissance, innovent régulièrement et exploitent les opportunités qu’offrent les marchés internationaux, se distinguant de la concurrence, confortés par leurs spécificités dans le produit ou la façon de le produire et de l’offrir. De plus, ces entrepreneurs développent des antennes particulières dans des réseaux leur fournissant non seulement de l’information effective, mais aussi potentielle sur l’évolution de l’environnement, sur les opportunités et sur les ressources disponibles, en étant confiants que ceux-ci les aideront à trouver l’information complémentaire ou les ressources nécessaires le moment venu. Ce dernier comportement est non seulement plus entrepreneurial, comme le considérait Schumpeter, mais est conforme à l’approche expliquant que l’entrepreneuriat est finalement un phénomène collectif.
C’est ce dont nous parlerons dans ce texte. En premier lieu, nous discuterons plus avant de cette incertitude externe et des façons de l’affronter par l’information et sa transformation en connaissance. En deuxième lieu, nous distinguerons les trois groupes d’entrepreneurs selon le type d’entreprise créée, le secteur dans lequel celle-ci évolue, et l’environnement plus ou moins turbulent selon l’évolution du marché, de la technologie et de la concurrence. En troisième lieu, nous ferons un essai d’application de cette distinction à partir de données recueillies auprès de 347 PME. En conclusion, nous aborderons l’impact de cette façon de voir l’entrepreneur tant sur leur compréhension que sur les politiques publiques pour favoriser leur multiplication et leur dynamisme. Arrêtons-nous d’abord à la question de l’incertitude.
Mis à jour le 04 avril 2015
Fichier joint
- Entrepreneur et incertitude : des profils variés autre, 249 Ko
Auteurs
Pierre-André JULIEN
et Josée ST-PIERRE
Institut de recherche sur les PME
Université du Québec à Trois-Rivières, Québec